Porter une cause et s’engager : une demande croissante des consommateurs

Cet article a été originellement publié par dans l’édition de Janvier 2018 du magazine Les Nouvelles Esthétiques.

«75 % des Millennials pensent que les marques qui ont peu de sens disparaîtront» (Source: Kantar Media- Kantar Millward Brown). Un chiffre stupéfiant. Certains experts prédisent qu’en 2027, 80 % des grandes entreprises telles que nous les connaissons aujourd’hui ne seront plus là (ou auront muté).

Cette génération des 15-25 ans donne le LA. Tellement différente de ses ainés qu’elle a été scrutée à la loupe, analysée de toute part. Un des grands bénéfices est qu’elle a un effet de vase communiquant sur tous les âges et qu’elle permet de faire bouger les lignes
rapidement (et «casser les silos», un terme cher aux organisations).

Acheter un produit en lui même de suffit plus

La quête de sens et d’engagement est la caractéristique qui me semble la plus intéressante à prendre en compte pour l’avenir des marques et des
enseignes. Ainsi que leur degré d’exigence et de connaissance souvent parfaite des produits avant achat.
Acheter un produit en lui-même ne suffit plus. Les utilisateurs veulent faire un achat en phase avec leurs valeurs, qui soit porteur de sens : «25 % of European want to buy differently, giving meaning to shopping and prolonging the life of objects» (Source : Futuribles). Car nous avons atteint un point de saturation de la consommation tous domaines, c’est un fait établi : «Les pays occidentaux arrivent à un pic de viande rouge, un pic de sucre et un pic d’objets» (Source : Steve Howard, Directeur du Développement Durable d’Ikea – Le Monde 8/10/2017).
Cette demande de sens et d’éthique est bien entendu à prendre en compte dans le secteur de la beauté et du bienêtre. En cosmétique, les «Indie brands» sont celles qui y répondent le plus (ou le mieux). Ces fameuses marques indépendantes (anciennement «niche brands») ont déjà capturé 5 % du marché américain et progressent à un rythme de 20 % par an, vs 2 à 3 % pour le reste du marché (Source : Nader Naeymi-Rad, cofounder of IBE, speaking to WWD).

Une marque qui leur parle

Elles ont même leur propre salon «Indie Beauy Expo», depuis peu, qui réunit 400 marques de beauté, maquillage, bien-être (3 trade shows aux USA et un prévu à Londres fin 2018). Leurs caractéristiques ? Une vraie «raison d’y croire» et pas de «blabla» marketing. Les Millennials, connus aussi sous le nom de «No bullshit gen» en ont plus qu’assez des discours éculés et sonnant faux des marques. Ils se tournent vers celles qui racontent une histoire vraie, avec du cœur et du sens, où l’on peut dialoguer avec les fondateurs et la communauté. Celles qui brandissent un manifesto qui leur parle, un style de vie auquel ils adhérent et s’identifient instantanément. Le tout largement rendu visible et accessible via le succès phénoménal d’Instagram depuis 5 ans (cf. Glossier, Hervibore Botanicals, Nude by Nature, etc.). Entre réseaux sociaux et sites marchands, ces vitrines en ligne sont pour les utilisateurs des sources d’inspirations inépuisables, où l’on peut acheter et s’engager au travers de la marque choisie. Et lorsque la charte d’engagement est clairement exprimée, elle permet de recruter aisément de nouveaux clients.

Engagement politique

Aux États-Unis, ces marques indie affichent des convictions parfois politiques que l’on n’oserait pas encore brandir en France ni dans les pays latins (vs les pays anglo-saxons et nordiques) : anti-Trump ou pro Hillary Clinton, par exemple – comme Glossier, créé en 2014 par Emily Weiss et au succès rapide «cas d’école». D’autres soutiennent la cause des homosexuels et des transexuels, voire la communauté LGBTIQ (pour lesbien, gay, bisexuel, transgenre, intersexe, queer), comme le salon Rudy’s, la marque Lush ou celle de rouges à lèvres Beautiful Rights, qui permet aussi de reverser 20 % de son achat à d’autres associations. Quant à la marque de maquillage Illamasqua créée en 2008, elle a carrément publié un manifeste antifasciste qui invite les clients qui ne partagent pas ses idées politiques à ne plus acheter ses produits ! (Source : Le Monde du 23/04/2017, excellent article par Lili Barbery-Coulon : «Ces cosmétiques qui descendent dans la rue»).

Engagement contre la maladie

La marque de maquillage M.A.C avait finalement fait partie des pionnières en lançant en 1994 son M.A.C Aids Fund, permettant de lutter contre le sida. En France, la jeune marque Memecosmetics, co-fondée par Juliette & Judith, connaît un énorme buzz avec ses produits de beauté et sa charte pour les personnes pendant et en rémission de cancers. Il fallait oser. La marque s’engage à reverser 1% de son chiffre d’affaires à une cause qui lui tient à cœur (comme au Rose Magazine pour le 1er trimestre 2017, information publique sur leur site web). En mode et luxe, Stella Mc Cartney vient de lancer un ensemble de lingerie pour les femmes ayant subi une ablation du sein et collabore avec le projet artistique : «The bare reality – No less than a woman», qui montre des photos dures à regarder de bustes opérés. Un acte courageux et fort, à l’image de son engagement depuis toujours (vegan et sustainable). Citons encore l’association du C.E.W. (1er réseau international des professionnels de la beauté), qui a créé deux actions solidaires : les Centres de Beauté qui financent des programmes de soins esthétiques gratuits en milieu hospitalier, et les Ateliers Olfactifs, en partenariat avec IFF, qui proposent à des patients ayant subi des traumatismes divers une activité de stimulation olfactive. Le sens avant le produit. La raison d’y croire et l’engagement prônés par la marque. Voilà un marketing novateur ! «We don’t need labels, everyone is just themselves» dit Milk, la marque de maquillage non genrée co-fondée en 2015, qui milite pour une meilleure représentation de la diversité.

La nouvelle beauté est clean

Si la nouvelle beauté se veut engagée, c’est aussi un formidable levier pour se créer une communauté. Outre la politique ou les causes humanistes, l’engagement dans la transparence et le mouvement «clean» deviennent le nouveau motto : «Green is clean». Le fait est qu’il est plus facile pour ces jeunes pousses «indie brands» d’arriver directement avec leur propre charte de formulation, qui soit «safe» et sûre pour la santé, sans passer nécessairement par la case labellisation (car parfois trop cher, trop fastidieux – même si les labels restent gage de réassurance pour un ensemble de consommateurs). Pas de perturbateurs endocriniens, pas de substances indésirables (phénoxyéthanol, diméthicone, titanium dioxide, etc.), pas d’OGM, pas de test sur animaux (donc pas de vente sur le marché chinois où ceux-ci sont obligatoires), «cruelty-free», vegan et même «carcinome-free» (récemment lu sur le site de la marque américaine Hynt Beauty) ! Une garantie de santé pour soi, pour ses proches et pour l’environnement : «Crafting pure, raw, organic products for health, home, beauty» revendique la marque américaine Fig+Yarrow.

Le choix du magasin en fonction de sa philosophie

On peut d’ailleurs légitimement présupposer que, demain, les consommateurs choisiront bien davantage leurs enseignes (alimentaire, de beauté, de spa, de distribution au sens large), en fonction de la sélection des produits qui a été faite par celles-ci, et qui rencontre bien évidemment leur propre prise de position et philosophie.

L’exemple de l’alimentation

Ces deux dernières années, le secteur alimentaire a particulièrement été innovant en ce sens (il faut dire que cela devenait obligatoire, vu les scandales qui égrènent régulièrement ce secteur). Ainsi, les distributeurs Naturalia et Coop ont décliné leur enseigne en spécifique vegan (Naturalia Vegan, trois points de vente à Paris RP et Karma, enseigne spécifique de Coop, en gare de Zouk, Suisse). Fin août dernier, Franprix innovait en ouvrant Noé, son premier magasin «responsable», à Paris (5ème). La charte affiche d’entrée : «Ici, chaque client peut être sûr que les produits qu’il achète entrent dans le mouvement vers une consommation plus responsable». Outre l’assurance pour la personne de faire ses achats en toute sécurité, selon son éthique, cela lui permet de faire ses courses à tête reposée, sans avoir à décortiquer les étiquettes des produits (tendance : se simplifier la vie et s’alléger l’esprit !).

À quand en cosmétique ?

Quelle enseigne cosmétique ouvrira la première son concept ne réunissant que des marques «vertes», c’est-à-dire biologiques et/ou équitables, vegan, certifiées, etc. Lorsque l’on fait ses achats en ligne sur le site sur MademoiselleBio, on peut rechercher un produit par label (Cosmos, ex-Cosmebio), tandis qu’en Allemagne, sur le site berlinois Amazingy fondé en 2011, on peut choisir ses produits et marques de beauté bien-être également par régimes, postures ou moments de vie (vegan avec la sous-segmentation : «fully vegan, no beeswax, no honey, no carmine», etc.), gluten-free, enceinte («pregnancy-safe»). Le site propose également de faire ses choix éthiques en fonction d’un large choix de certifications (vegan, cruelty-free, USDA, Cosmos, etc.).

La révolution beauté par abonnement

Cette demande de simplification de la vie par les utilisateurs est directement à mettre en rapport avec le phénomène représentatif du moment, qui est le système des abonnements version 2017+. Depuis cinq ans, on connaissait les «box» au succès non démenti (en cosmétique comme Joliebox rachetée par Birchbox, en gastronomie et vin et même en collants !). Si le succès des débuts était surtout dû à l’effet plaisant de recevoir un colis surprise chaque mois et de pouvoir découvrir plusieurs produits pour une somme relativement modique, les avantages sont tout autres aujourd’hui. En effet, l’afflux des consommateurs (américains, européens) sur les abonnements est avant tout perçu comme un gain de temps et de désencombrement de son esprit. Chacun y trouve largement son compte :
– d’un côté, le consommateur qui n’a plus à se déplacer et à prévoir son achat récurrent (comme les produits de rasage, cf. Dollar Shave Club, rachetée par Unilever ou la start-up française Big Moustache), – de l’autre, les marques ou enseignes (en restauration le midi par ex) qui ont une garantie d’achat sur une période déterminée ou indéterminée. Cette nouvelle économie de la «subscription» bouscule elle aussi les règles établies par les marques, qui sont forcées de continuer à s’adapter à vitesse Grand V (d’où la multiplicité des partenariats avec des incubateurs, l’un des derniers en date étant L’Oréal & Platform F). Là aussi, tous les secteurs ont été touchés. Le service «Amazon Prime» a vu ses abonnés progresser de 35 % sur un an : le nombre d’abonnés Prime atteint désormais 85 millions contre 63 millions un an plus tôt (Source : LSA rapport du Consumer Intelligence Research Partners –CIRP- 07/2017). D’ici quelques mois, un ménage sur deux pourrait être abonné à ce service aux États-Unis, selon des analystes (Source : Le Monde 10/10/2017). «À l’avenir, la croissance viendra uniquement de cette économie de la souscription, qui progresse déjà neuf fois plus vite que la moyenne des groupes de l’indice S&P 500», a assuré Tien Tzuo, co-fondateur de l’entreprise informatique Zuora (Source : Le Monde 10/10/2017 ). Voilà qui ne peut qu’intéresser l’industrie du bien-être, même si elle pratiquait les formules d’abonnements depuis longtemps. Mais peut-être pas encore pour certains acteurs, sous la forme actuelle, rapide, précise et ergonomique en ligne.

Une soif de transparence sans aucune limite

Les grands groupes forcés de s’y mettre

Enfin, l’une des communautés activistes cosmétiques est celle du «green & clean», comme mentionnée précédemment. Les «green beauty bloggers», ainsi que les geek de la beauté et du bien-être, défendent ardemment leur point de vue sur les réseaux sociaux et participent à la montée des consciences individuelles. Les grands groupes sont ainsi de plus en plus forcés de nettoyer leurs formules et de se tourner vers des alternatives vertes afin d’éviter les «bad buzz». Certains créent des marques ex-nihilo, portant le développement durable un cran plus loin, comme Cha Ling lancé par LVMH (par Guerlain spécifiquement, avec des packaging naturels luxueux réutilisables). Bien sûr, l’engagement dans le développement durable et de la biodiversité est notable de la part de grands groupes comme de celles de petites marques depuis longtemps, mais cela s’est accentué depuis 5 ans (L’Oréal, Chanel, Yves Rocher ; aussi bien qu’Ainy ou Six Senses, dès le départ quant à elles). Une marque ou une enseigne, souhaitant rester pérenne et assurer sa notoriété peut-elle actuellement se lancer sans embrasser une cause, en plus du reste des pré-requis ? À priori non.

Une transparence au-delà du produit en lui-même

Demain la soif de transparence des utilisateurs sera sans limite : au delà du produit, des processus de fabrication, elle se tournera bien davantage sur l’envers du décor des entreprises (Comment sont traités les salariés ? Quelles sont les conditions accordées aux fabricants ? Sont-elles vertueuses ? Quel éco-system bien-être pour les salariés ?). À ce titre, le groupe français Léa Nature fait un travail remarquable depuis des années et a inauguré en début d’année son «Bio-Pôle», centré sur le bien-être : des bâtiments bioclimatiques formant un espace qui se veut social et convivial, ouvert aussi bien à ses salariés, ses fournisseurs qu’à son public (avec alimentation bio, sport, pratiques bien-être, éducatives, etc.).

Demain tous des Geeks de beauté?

La nouvelle appli Clean Beauty, permettant de savoir si son produit d’hygiènebeauté est exempt de substances indésirables ou pas, a été téléchargée 120 000 fois depuis neuf mois. Fondée par deux entrepreneuses qui ont également lancé la marque de cosmétique Officinea (100 % irréprochable en terme de sûreté des ingrédients pour la santé), Clean Beauty comporte un glossaire de 700 ingrédients. Il y avait déjà Think Dirty aux USA depuis 3 ans et quantité de start-ups travaillent sur des «devices» qui permettront de tout scanner en temps réel : qualité de l’air (Plume Labs), voire tout savoir de n‘importe quel produit, substance, matériau (cf. la start-up israëlienne SCiO). Étant donné que déjà actuellement : «25 % des acheteurs américains entre 18-34 ans scannent les étiquettes/QR code sur le packaging des produits pour avoir de l’information» (source : Mintel 2017), il semble raisonnable de penser que d’ici peu, nous serons tous équipés d’appareils portatifs miniatures ou d’applis permettant de faire nos choix de consommation de manière éclairée. Le mouvement porteur de sens et de valeurs éthiques, écologiques est sorti de la case «niche», pour devenir une force incontestable. Quantité de jeunes quittent le monde des grands groupes pour monter leur marque qui réponde à leurs aspirations, leurs valeurs, leur quête de sens (ex : Detoxetmoi, une plate-forme de e-commerce lancée en septembre dernier par Aurélie Chavas, pour acheter ses produits verts tous secteurs – cosmétiques, compléments alimentaires, nutrition, bébé, produits ménagers, maison, etc).

L’acte d’achat devient acte militant

La «conscious cosmetic», la «clean food» sont le nouveau bio. Soutenir une cause de santé, pour soi ou/et pour la planète devient un impératif, sous peine de voir sa marque mise au ban. Avec de vraies causes, un engagement tangible en externe et en interne, et non pas le green washing des années 2000. Car l’acte d’achat devient de plus en plus un acte militant, de pouvoir, d’indication claire de choix tranchés (surtout dans l’alimentaire, depuis le mouvement local né à San Francisco en 2005). Les marques de luxe elles-mêmes ont dû revoir leurs codes de communication. D’autant qu’elles sont source de croissance potentielle pour les Millenials : «Selon une étude, 85 % de la croissance du secteur serait due à des acheteurs âgés de 15 à 34 ans» tandis que «45 % des dépenses de produits de luxe proviendront d’eux en 2025 – plus précisément les 15-25 ans» (Source : Bain & Company, Le Monde 26.10.2017). Tout comme les marques de consommation courante, elles se doivent d’être plus accessibles, transparentes (cf. Hermès hors les murs, les journées patrimoine LVMH). En revanche, l’industrie du luxe s’engage dans des causes depuis longtemps et continue de plus belle (ex : Dior qui a sorti un teeshirt pour soutenir l’éducation à travers la fondation de Rihanna, Fendi très actif dans la restauration du patrimoine italien et qui a demandé à des célébrités de personnaliser un sac pour soutenir des associations). Le luxe éthique est plein d’avenir et comme le dit le sociologue Patrick Mathieu : «Le luxe ostentatoire existe toujours, mais la demande est différente aujourd’hui /…/ le luxe, aujourd’hui, c’est plutôt d’acheter un vêtement confortable conçu de façon vertueuse, respectueux de l’environnement et du bien-être des animaux ou à vocation caritative» (source : Le Monde 29/10/17). Ce qui semble s’appliquer à l’ensemble des industries ! Et vous, quelle sera la cause et l’engagement que vous prônerez demain, qui auront du sens pour vous-même et votre marque/ lieu ?

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