« Vegan ne veut pas systématiquement dire que les ingrédients n’ont pas été testés sur animaux »
Interview de Laurence Caisey

Je connais Laurence depuis 2 ans et depuis nous ne nous quittons plus ou presque ! Nous faisons des conférences ensemble, à Berlin, à Paris…Nous faisons des études ensemble pour l’industrie cosmétique (sur les aspects ‘green & clean’), nous travaillons ensemble pour des startups, etc. Laurence est une wonder-woman, hypra dynamique et disponible à tout moment. C’est la personne la plus connectée que je connaisse, qui répond quasi en simultané (avec Aurélie Chavas de Detox et moi, que j’interviewerai bientôt). En plus de travailler pour les autres, elle va lancer sa propre marque en juin (j’en parlerai bien sûr car le concept est inédit et détonnant dans la cosmétique !). Mais comment fait-elle pour caser tout cela dans une journée ? En plus, Laurence est décontractée et on rigole beaucoup 😉

Après plus de 20 ans chez l’Oréal, essentiellement en R&D (nous aurions pu nous y croiser), Laurence accompagne les marques établies mais aussi les startups à l’innovation produit. Son rôle est de créer un produit qui sera perçu comme différent, en intégrant ‘une nouvelle expérience consommateur’ (là c’est du jargon pro ;).

Laurence, les consommateurs pensent que la mention ‘vegan’ sur les cosmétiques protège les animaux et en fait il y a une face cachée, est-ce que tu peux nous en dire plus ?

Laurence Caisey : ‘Vegan’ en fait cela veut dire que les produits n’utilisent pas d’ingrédients issus des animaux. Donc dans Vegan on n’inclut pas la cire d’abeille (beewax), le carmine (pigment rouge issu de la cochenille), la soie, etc. De façon assez large, les produits Vegan sont composés d’ingrédients qui sont soit chimiques soit végétaux mais sans ‘sourcing’ animal.

Vegan ne veut pas systématiquement dire que les ingrédients n’ont pas été testés sur animaux.

Cela est garanti par la revendication ‘cruelty-free’, qui permet au consommateur d’être certain qu’aucun des ingrédients de la formule n’ait été testé récemment sur animaux.

En résumé, un produit Vegan ne comprend pas d’ingrédient d’origine animale et un produit Cruelty-free garantit que les ingrédients n’ont pas été testés sur animaux. Donc si vous êtes sensible à la cause animale, les deux revendications sont importantes.

Certains labels ‘Cruelty-free’ ne considèrent que les tests réalisés dans le pays de lancement du produit et non pas dans tous les pays où ce produit  sera lancé.

Concrètement, la grosse problématique est la Chine évidemment puisque pour enregistrer des produits sur le marché chinois, il faut obligatoirement réaliser des tests sur les animaux quand tu es une marque internationale non chinoise.

Donc si aujourd’hui on achète un cosmétique qui comporte uniquement un logo Vegan, cela veut dire qu’il n’y a pas d’ingrédients issus d’animaux. En revanche, des tests ou des sous tests peuvent être faits sur animaux, comme par exemple sur la cornée de bœuf. C’est ça ?

Laurence Caisey: Oui, exactement. La cornée de bœuf, c’était un test alternatif développé pour anticiper l’arrêt des tests sur animaux, en considérant que la cornée de bœuf était prélevée sur des animaux morts et donc sans souffrance spécifique pour les tests cosmétiques. Un autre test alternatif a été développé sur des œufs.

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Cela est assez contraire à l’éthique Vegan et nombre de personnes risquent d’être choquées. Peux-tu nous dire à quoi servent ces tests ?

Laurence Caisey : Oui ce sont des tests de sécurité (safety), puisqu’en fait, la réglementation européenne, en même temps qu’elle interdit des tests sur animaux, oblige de faire en sorte que les nouveaux ingrédients soient certifiés comme ‘safe’ pour les consommateurs et donc ces tests alternatifs étaient une solution sans que la profession anticipe l’impact que peuvent avoir ces tests  et se trouve un peu démunie aujourd’hui.

Et en plus, ce que le consommateur ne sait pas vraiment, c’est qu’il y a une multitude de logos Vegan et qu’ils ne sont pas une norme.

Laurence Caisey : Ce sont des labels. Il n’y en a pas un unique, c’est un peu comme les labels bios, il y a Cosmos, Natrue, Ecocert. C’est la même problématique, le même positionnement. Il y a plusieurs labels qui ont des noms et des logos différents, qui sont estampillés sur les packagings des produits en fonction du label Vegan que la marque choisit.

Il y a des labels Vegan français, anglais, américains, etc. et  la plupart sont achetables sans contrôle, c’est cela ?

Laurence Caisey : Oui. A côté de ça, il y a beaucoup de marques qui se disent Vegan sans label. Ceci est possible du moment où les fournisseurs d’ingrédients et les labos qui ont fait les produits, certifient qu’aucun ingrédient n’est d’origine animale. Alors la marque peut revendiquer ’Vegan’.

Et dans ce cas, cela ne coute rien, c’est juste la marque qui appose ‘Vegan’ sur ses packagings produits ?

Laurence Caisey : C’est ça.

Donc ‘Vegan’ n’a parfois rien à voir avec une formule naturelle ou dite ‘clean’. C’est à dire que le produit cosmétique peut être ‘Vegan’ et issu de la pétrochimie ?

Laurence Caisey : Complétement. Le ‘Vegan’ ne se positionne pas sur la chimie, les ingrédients synthétiques…Donc il peut y avoir des silicones, des conservateurs controversés, il peut y avoir plein d’ingrédients autres que naturels ou bio du moment qu’ils ne sont pas d’origine animale.

Par ailleurs, il y a une nouvelle norme qui s’appelle ‘ISO Natural’, qui en fait n’est pas naturelle du tout. C’est une tromperie aussi pour le consommateur.

Laurence Caisey : Ce n’est pas tout à fait une tromperie, c’est une autre manière de parler de naturalité mais c’est vrai que cela apporte encore plus de confusion pour le consommateur. Au lieu de positionner les ingrédients 100% naturels ou d’origine naturel, la norme va faire des calculs de pourcentage de naturalité. Du moment où le résultat est au-dessus de 50%, ça rentre dans les ingrédients naturels que tu vas pouvoir revendiquer. La problématique surtout de cette norme ISO, c’est qu’elle accepte des OGM, certains silicones, des ingrédients qui ne sont pas acceptés dans des normes bios, comme Cosmos, Ecocert et Natrue, par exemple.

Et dans un domaine connexe, celui des applications qui aident à identifier les ingrédients controversés, tu dis que le laureth sulfate, qui est mieux noté par Yuka que Clean Beauty, peut être problématique pour la santé. Peux-tu nous détailler cela ?

Laurence Caisey : Oui. Les sulfates très utilisés dans les produits moussants comme les shampoings et les gels douches, sont controversés. Il y a le lauryl sulfate d’un côté, qui est très irritant. C’est pour cela que les fournisseurs d’ingrédients ont mis au point un procédé de transformation pour obtenir des sulfates plus  doux pour le cuir chevelu. Il s’agit du laureth Sulfate mais pour l’obtenir, les industriels ont développé un procédé dit éthoxylé, qui génère des molécules de Dioxyde reconnues comme cancérigènes et donc problématiques pour la santé, encore plus que l’irritation du lauryl sulfate. On voit que dans les applications d’analyse des produits cosmétiques, il y a un clivage : certaines prennent le point de vue de l’irritation et d’autres le point de vue de la transformation et du procédé éthoxylé. Personnellement, si j’avais besoin de sélectionner des sulfates, j’irai choisir quelque chose qui est peut-être irritant mais qui n’est pas potentiellement contaminé par un ingrédient cancérigène.

Compte tenu de ce que tu viens de dire, si l’on doit utiliser une application qui aide à identifier les ingrédients controversés, recommandes-tu plutôt Clean Beauty comme référent que Yuka ou une autre ?

 Laurence Caisey : Oui en tout cas sur ce cas particulier. En sachant que Clean Beauty ne met pas du tout en exergue le sulfate. Elle met en avant le laureth et d’autres ingrédients issus du procédé ethoxylé controversé.

Ce que j’aime particulièrement sur l’appli Clean Beauty est qu’elle n’utilise pas de base de données produits, elle décrypte de manière intelligente la liste d’ingrédients des produits que nous lui soumettons. Cela permet, par exemple, d’avoir un décodage des ingrédients, même sur un tout nouveau produit qui vient d’arriver sur le marché.

Enfin, j’ai entendu parler d’une ‘boite noire des parfums’, peux-tu nous dire quel est le souci ?

Laurence Caisey : A l’heure actuelle, lorsque l’on achète un produit cosmétique, le parfum est indiqué comme ‘parfum’ et c’est tout.  Il est maintenant obligatoire de lister les allergènes mais malgré tout, c’est une «boite noire ». C’est-à-dire que les parfums qui sont composés d’une longue liste d’ingrédients, très souvent issus de la chimie de synthèse, ne sont pas listés. Et à ma connaissance, il n’y a que EWG, un organisme américain,  qui requiert pour son label, de lister les ingrédients du parfum en toute transparence. Il y a bien sûr les marques totalement ‘green’, labélisées, qui elles n’utilisent pas du tout de parfums de synthèse et qui, si elles utilisent des huiles essentielles, les affichent puisque les allergènes issus des huiles essentielles sont nécessairement listées si elles dépassent une certaine concentration. Mais attention car les allergènes sont eux aussi de plus en plus controversés. Il y a tout un chantier autour du parfum qui est super important à intégrer quand on veut être une marque responsable.

OK donc il y a le label EWG, qui n’est pas en France mais aux Etats-Unis (et de plus en plus visible sur des produits cosmétiques en Asie), qui fait un sacré travail en renseignant les utilisateurs sur les parfums présents dans les produits, c’est intéressant !

Laurence Caisey : Oui. Mais il y a très peu de marques dites conventionnelles qui rentrent dans ce label car les parfumeurs n’ont pas encore pris l’habitude de décoder la composition de leurs parfums. C’est une des prochaines étapes pour une transparence totale avec les consommateurs.   

Merci Laurence pour toutes ces précisions en formulation et labels cosmétiques!

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